Amélie parle d'Ixelles (Bruxelles, Belgique)

Amélie chez les doux-dingues

Ixelles, ma découverte (Le Soir)

14/03/98 - © Rossel & Cie SA - LE SOIR Bruxelles

Depuis qu'elle vit en Belgique, Amélie Nothomb n'a jamais quitté Ixelles. Normal pour un écrivain: c'est la patrie de Shakespeare!

De Ghelderode y est né, De Coster y est mort. Baudelaire y causa avec Rops, Françoise Mallet-Joris y est revenue après de longues années parisiennes... Ixelles occupe incontestablement une place à part dans le coeur des artistes - et pas uniquement des écrivains. Dans le cadre d'"Ixelles ma découverte", nous avons rencontré Amélie Nothomb ("Hygiène de l'assassin", "Les combustibles", "Attentat"): dernière-née de cette prestigieuse lignée de gens de plume qui ont choisi de s'établir dans la commune aux armoiries frappées de l'aulne. Amélie Nothomb

* Depuis combien de temps habitez-vous Ixelles?
* Je suis née au Japon, puis j'ai suivi mon père dans différents postes diplomatiques à travers le monde. Je suis venu à Bruxelles à dix-sept ans, pour entreprendre une licence en philologie romane à l'ULB. Je me suis alors installée à Ixelles. Après un nouveau séjour à l'étranger, je suis revenue dans la commune. A l'université, avec des amis, nous formions la "bande d'Ixelles". L'autre bande d'Ixelles en réalité...
* Mais pourquoi Ixelles? Qu'est-ce qui vous attire dans cette commune?
* Le très grand nombre de malades mentaux qui déambulent dans les rues. Notamment du côté de la place Fernand Cocq. Je me souviens d'avoir un jour assisté à une scène où un doux-dingue s'était mis en tête de régler la circulation. L'ennui, c'est qu'il se jetait littéralement au-dessous des voitures pour les arrêter. Il risquait sa vie, mais personne n'osait rien faire. Je crois que je l'ai sauvé en lui disant "Monsieur l'agent, vous ne devez pas faire la circulation aujourd'hui: c'est un jour de congé". Il m'a écoutée, il a arrêté. Je me souviens d'un autre fou qui chantait souvent dans le bus 71...
* A part la place communale et ses personnages, y a-t-il d'autres endroits de la commune que vous aimez?
* La place Flagey. Elle dispute à la place Jourdan le meilleur "fritkot" de Bruxelles. Personnellement, j'estime que les frites de Flagey sont indiscutablement meilleures! Savez-vous que j'ai rendu hommage à la place Flagey dans "Hygiène de l'assassin"? Mon héros y souffre du syndrome d'Elzenveiverplatz. C'est-à-dire du syndrome de "la place des étangs d'Ixelles"...
* Qu'est-ce qui vous attire place Flagey? L'endroit est plutôt morose depuis quelques années...
* C'est vrai qu'il y a des endroits beaucoup plus beaux, mais moi, le côté assez décati des lieux, j'aime assez cela.
* D'autres haltes encore?
* J'adore le site de l'abbaye de la Cambre. Mais l'étang gagnerait à être nettoyé. J'ai pitié des canards qui y barbotent.
* Mais vous, dans quel quartier habitez-vous?
* Si vous le permettez, je ne vous répondrai pas trop précisément: je reçois déjà assez de courrier comme ça, auquel j'essaye de répondre. Disons que ne j'habite pas très loin d'un dépôt de trams. Les gens qui n'habitent pas près d'un tel lieu ne peuvent imaginer le bonheur d'entendre les premiers trams s'ébranler le matin et partir vers l'infini... Ah oui, pour revenir à votre question précédente, j'ai oublié de vous dire que j'aime par-dessus tout le "71", qui est un des bus les plus profondément sympas du monde!
* Quand vous êtes à l'étranger, vous présentez-vous comme Bruxelloise ou Ixelloise?
* Ixelloise. A Paris, j'ai inventé une fausse éthymologie à la commune. J'explique qu'Ixelles vient du flamand Elsene qui, lui-même, vient d'Elseneur: la ville danoise où se situe l'action de "Hamlet". J'affirme donc qu'Ixelles s'appelle ainsi par hommage à Shakespeare!

Propos recueillis par WILLIAM BOURTON