Robert - Amélie Nothomb au FORUM FNAC DE TOURS, le 17 mars 1999
Robert et Amélie Nothomb au Forum FNAC de Tours, le 17 mars 1999

Amélie Nothomb: Je vais vous présenter quelqu'un, et dans l'absolu présenter quelqu'un est mille fois plus difficile que d'être présenté. Jamais ne me serais laissé entraînée dans une telle histoire, si je n'avais eu pour ROBERT plus que de l'amitié, et plus que de l'admiration ; Robert est vraiment une partie de moi, et jugez combien c'est difficile pour moi ! Non seulement il est terriblement angoissant pour moi de présenter quelqu'un que j'aime tellement, mais en plus ce soir, Robert va chanter une chanson magnifique, et entre autre une chanson que j'ai écrite -je précise : les paroles ; la musique, j'en serais bien incapable, c 'est Mathieu ici présent. Je n'ai jamais vécu un tel trac de ma vie.

Robert : C'est un cadeau qui m'a été fait.

Amélie : Et qu'elle m'a rendu au centuple.

Voilà en fait ce qu'il faut dire, c'est que Amélie m'écrit par fax souvent et un jour elle m'a écrit quelque chose, qu'elle m'a envoyé, c'était un texte -un texte qui m'a bouleversé, dans lequel je me suis -reconnue n'est pas le mot - mais j'ai pu m'identifier ou m'attacher profondément, je me suis sentie bien, et ce texte je l'ai tout de suite proposé à Mathieu et, en fait, la musique s'est écrite dans la journée, comme les choses belles se font, elles n'ont pas besoin de temps parfois, elles peuvent éclore comme ça, et c'était un regard. Amélie était à Bruxelles et je ne pouvais pas lui dire : " Mais viens vite, viens écouter !".

C'est un texte que Robert m'a totalement inspiré. Robert est depuis quelques années beaucoup plus qu'une chanteuse, c'est une magicienne, et moi je suis ici dans la situation absurde du voleur, face à un prestidigitateur de talent, qui va essayer de lui demander : " Comment faite-vous ? révélez-nous vos trucs. Comment faites-vous pour, à partir de mots très simples, d'un univers enfantin, à la portée de tous, et d'une voix aussi frêle, comment faites-vous pour faire naître tant d'émotions, et tant de sophisitication ? "

Déjà je vous remerciere pour le compliment que vous avez glissé dans votre question. Ensuite, vous parlez de mots très simples, de voix parfois même chuchottée, je crois que si on peut parler de magie dans ces choses-là, c'est la magie qui appartient à tout le monde, et qui appartient je crois en premier lieu aux mamans, aux mamans qui bercent les enfants, qui plus tard bercent ceux qui les écoutent comme vous, vous êtes tous mes enfants (sourire), et ces mots c'est à la fois mon enfance qui me les inspire, mais c'est peut-être aussi votre enfance qui me les inspire, et cette magie n'est pas une magie extra-terrestre, elle est au contraire bien terrestre, elle est à nous et non pas à moi.

Je suis tout à fait d'accord avec vous quand vous dites que c'est une magie bien terrestre et c'est tellement vrai que c'est une magie universelle, puisque l'univers de conte de fées que vous développez dans vos chansons, n'est pas du tout l'apanage de l'Europe, à telle enseigne que - j'ai entendu dire et ça m'a ravi, que le pays au monde où jusqu'à présent vous avez obtenu votre plus grand succès, était le Japon.

Pour moi c'est une énigme parce que je connais pas ce pays. Ce pays m'a accueillie avec beaucoup de chaleur, et je n'ai jamais rencontré de public japonais puisque je n'ai jamais été là-bas, et ça c'est vraiment de l'ordre de. -on aurait pu me dire vous avez du succès sur la planète Mars. ah ! c'est merveilleux, mais c'est vrai que j'aimerais mieux pour les voyages !

Je vais vous dire que moi je ne suis pas très étonnée que vous ayez du succès au Japon. C'est même encore plus normal que vous en ayez là-bas qu'ici, parce qu'aujourd'hui en Europe, on est en train d'hériter de clichés assez tristes sur une nouvelle sorte -soit disant nouvelle sorte de fémininté - qui devrait être une féminité très " rentre-dedans " composée de chanteuses qui ressemblent à des tanks et qui n'ont aucune délicatesse. Je crois qu'on est victimes d'un nouveau terrorisme en Europe : on confond tellement mièvrerie, et douceur et délicatesse, qu'on s'éloigne de toute douceur et délicatesse de peur de sombrer dans la mièvrerie, alors que ces deux choses n'ont absolument rien à voir. Je pense qu'il y a d'autant plus de force et de violence dans la délicatesse vraie que dans ces personnes que je viens d'évoquer. Et je pense qu'au Japon, on est encore tout à fait capable de voir qu'il n'y aucun rapport entre délicatesse et mièvrerie et d'associer force avec douceur/délicatesse féminine.

Je pense simplement, en ce qui concerne la France, que je connais un peu, qu'il y a peut-être un phénomène de mode actuelle -vous parliez peut-être des chanteuses qui chantent beaucoup plus fort que moi !- (rires) et j'ai toujours en tête quand je chante -je vous ai parlé de la maman ou des bébés - quand on dit : " je t'aime " à un bébé (tout bas) on va pas lui dire : " JE.T'.. " (mimant une voix forte) (rires).

Une grande part du charme de vos chansons c'est qu'on a l'impression que vous les chuchotez à chacun.

Parce que je pense qu'on a beau grandir, on reste un enfant et ce n'est pas une chose qui diminue l'adulte que nous sommes, c'est ce qui nous permet de continuer à grandir. Et moi j'aime cette idée de progression dans l'évolution chez l'être humain et j'espère que nous faisons tous partie des gens qui grandissent, en évolution.

Est-ce que vous avez grandi ?

Je crois qu'il serait malhonnête de dire que je n'ai pas grandi, parce que je suis restée proche des univers que j'ai eus étant enfant, des contes, des princesses, des princes, des sorcières, des fées, des oiseaux transformés, mais je crois que là où j'ai grandi, c'est qu'il y a un âge où on n'aime plus les contes de fées, où on est grand. Et il y a un âge on se sent suffisamment grand pour ne plus avoir peur d'aimer ce qu'on a aimé quand on était parfois très jeune. Et je reviens à ces sources-là qui ont été mes nourritures.

Robert chante : Elle se promène - Triste et sale - Celle qui tue

Amélie : Vous arrive-t-il avec Mathieu de vous haïr à force d'être et d'écrire ensemble ?

Robert : Jamais, ce sont des moments d'amour profond. Et quand Mathieu joue du piano, je ne peux qu'avoir peur d'écrire, et d'avoir envie d'écrire. Peur de ne pas être à la hauteur des mélodies qu'il m'offre.

Donc c'est toujours lui qui arrive avec la mélodie ?

Non. Il m'arrive d'écrire une chanson quand la mélodie est prête, mais il m'arrive d'écrire parfois, de noter une phrase comme ça. Triste et sale est née de petits élements comme ça. Ce ne sont pas de choses que l'on recherche. Pour Triste et sale, j'ai aussi écrit la mélodie vocale.

Qu'est-ce qui précède ? le mot ? le son ? c'est toujours le mystère pour moi.

C'est un mystère pour moi aussi. Je crois que c'est un petit comme l'agriculture : le sentiment que dans notre vie quotidienne on est des paysans et qu'on laboure nos terres et sans le savoir, on sème, mais dans tous les sens du terme. On sème des choses qui donnent naissances à d'autres petites choses et parfois elles se réunissent pour faire des chansons, et on est à la fois maître de ça et à la fois on se demande, lorsqu'on vient de finir une chanson : 'Serons-nous capables d'en faire une autre ?' Je continue à écrire avec des doutes terribles.

Qu'est-ce qui s'est passé pour que tout à coup vous sentiez une voix sortir de vous, après l'enfance, l'adolescence, je ne sais pas ?

Je l'ai senti très tard. Je n'ai pas choisi d'être chanteuse, j'écrivais des textes. Le premier métier dont je parlais quand j'étais toute petite, je voulais être chanteuse. voilà. Puis ça s'est endormi pour laisser place à la danse. à partir de là, j'ai réalisé que j'écrivais toujours mes petits bouts de phrase. Et ça me fait penser aux contes, à la Sirène, et ce qui la caractérise, c'est la voix, le chant, la beauté de son chant. La petite Sirène est morte, mais j'espère que ça ne va pas m'arriver. et j'espère que je ne vais pas tuer trop de personnes ! (car les sirènes tuent les hommes qu'elles ont charmés) Peut-être que cette détresse qu'il y a dans les contes est une détresse qui me permet d'évacuer certaines choses. Je suis quelqu'un de très joyeux dans la vie, c'est pour ça que j'ai besoin d'évacuer de la tristesse !

Vous venez de nous livrer une métaphore magnifique, parce que vous venez de parler de la petite Sirène, de la danse, vous avez dit que vous avez arrêté la danse pour des problèmes articulaires, donc, on peut dire que votre art est passé de vos jambes à votre voix ; or c'est exactement ce qui est arrivé à la petite sirène du conte d'Andersen. donc vous êtes vraiment une sirène !

Je crois que la petite Sirène fait le choix de l'homme qu'elle aime et perd ses jambes. je crois les mots d'amour se disent aussi avec la voix.

Et cette voix vous l'avez tout de suite trouvée ou est-ce que vous avez dû la travailler, est-ce que vous êtes allée chez un professeur de chant ?

Oui. Je déteste les professeurs de chant. je déteste l'enseignement ! (rires) J'y allais, mais je tombais souvent malade. Celle qui m'a le plus enseigné le chant, c'est ma maman. Ma maman chantait divinement bien, elle me chantait des chansons, j'adorais ça. Des fois on compare ma voix à celle de Mylène Farmer, moi je ris, parce que ces gens-là n'ont jamais entendu ma maman chanter ! Si ma maman chantait ils sauraient qui j'imite !

Mais la vérité c'est que Mylène Farmer s'est inspiré de votre maman !

Et c'est vrai que l'enfance est quelque chose qui me touche, et comme je vous le disais au début, chanter aux enfants ce n'est pas leur crier dessus. Je pourrais effectivement faire un effort pour travailler ma voix, en la timbrant.

Non ! on a déjà ces chanteuses-là !

Mais ce n'est pas vraiment un choix, c'est un plaisir.

Est-ce que je peux dire que je suis affreusement jalouse de vous ? J'aurais tellement voulu connaître cette jouissance de pouvoir exprimer ses émotions avec un organe aussi pur que la voix. Mais le moment où on peut partager ça - que je n'ai jamais connu puisque quand je chante c'est l'expérience la plus drôle qu'on ait jamais connue !- . on se sent un peu l'égale des dieux.

C'est vrai que ce qu'il y a de merveilleux quand on chante -c'est un peu bizarre ce que je vais vous dire - c'est qu'on est seul. Et quand on est seul, on peut s'adresser en son nom propre aux gens qui sont dans la salle, et ça c'est un luxe immense - car dans la vie on a quelques amis et on se plaint de ne pas en avoir assez. Et pouvoir communiquer seule en son nom, en écrivant des textes à des gens qu'on ne connaît pas, qu'on ne reverra peut-être jamais, c'est vraiment quelque chose d'appréciable. Dans mes expériences de comédienne, c'est ce qui me frustrait, et j'aurais aimé être une Muriel Robin qui fait un one-man show, pour n'avoir affaire qu'à vous - c'est pour mieux vous donner que j'ai envie de cette solitude sur scène. Des fois j'imagine des grands concerts, vous savez quand je ferai le zénith ! - (rires) et j'adore voir l'artiste seul devant un grand rideau. C'est très humiliant pour les musiciens, mais j'adooore ! Est-ce que j'oserai un jour faire un concert en cachant mes musiciens ?

C'est bizarre c'est le contraire de la femme voilée, c'est l'homme voilé !

Mais Amélie, j'ai quand même un prénom d'homme ! [.] C'est un prénom que je ne comprenais pas. Quand on veut être une princesse, et qu'on s'appelle Robert, c'est bizarre. ça ne va pas trop ensemble et ne sachant pas trop l'expliquer, j'inventais cette histoire d'une grand-mère espagnole qui serait morte à ma naissance, en l'hommage de qui mes parents m'auraient appelé Robert. En plus dès qu'un prénom vient de l'étranger,on perd ces notions de féminin/masculin. la vraie raison c'est qu'effectivement je changeais de pseudonyme et ce n'était pas pour me dissimuler c'était pour me faire rêver. Et un jour Mathieu m'a dit, alors que c'était le tout début, "Pourquoi tu ne prends pas un pseudo qui soit vraiment loin de toi ?" A quoi est-ce qu'on ne pense pas quand on te regarde ? Il dit : "On ne pense pas à Robert". Je n'ai pas dit mon chéri je trouve ton idée stupide, j'ai dit : " Oui pourquoi pas ! ", comme je n'étais pas à un essai près, je me suis dit, je vais essayer Robert. Et pour la première fois je me suis retournée. Et je suis dit que ce prénom portait les deux sonorités Robe et air et que c'était très féminin.


Question de philosophie

Dans le ciel
Inonder le ciel
Je m'y crois reine
J'y danse même
Pas (?) en Sirène
En robe blanche

Je m'y suis envolé

C'est pour toujours
Je ne veux rentrer
Si je t'ai fait sourire un peu
C'est fait c'est fait

Je suis me suis envolé
Dans ce (?) blanche
Je ne pouvais pas rester
Pardonne moi
Pour cet adieu
De la fenêtre
La nuit tu peux
Me voir un peu
...

Celle qui tue
(Amélie Nothomb/Mathieu Saladin)

Je suis une dame qui empêche de dormir
Qui prends la vie des hommes et des femmes sans un regard
Je suis celle qui inspire l'amour
Même si t'aimer, comme sans t'aimer
Je te donnerai des plaisirs, des plaisirs
Que tu n'as jamais connus
Des plaisirs si grands

Refrain (incompréhensible)

Je suis celle qui tue pour m'endormir
Je suis celle qui tue pour donner la vie
Je suis celle qui inspire l'amour
Et si je t'aime et si je t'aime
Je te donnerai des plaisirs des plaisirs
Dont tu n'as pas idée
Des plaisirs si forts

Que tu me donneras

Que tu me donneras
La mort
J'ai soif là
Que tu me donneras
Descendue,
J'ai soif là
Etancher la soif
Que tu me donneras

Je suis l'idôle qui empêche de dormir
Et si je t'aime
Et si je t'aime

Maman

Petite fille
En chaussons roses
Petite fille
J'étais ta rose, Maman

Petite fille
Aux boucles blondes
Je vais apprendre à faire la ronde Maman
Moi je t'aimais
Je t'aimais si fort

Je pénais sans fin
pour te plaire
Mais en vain

Maman je t'aimais
Je t'aimais si fort

Le plus beau univers
Je te l'apporterai
Toi, toi tu me connais à peine
Dans le bleu de tes yeux
Moi je me suis noyée
Je n'ai pas su faire mieux
Alors, je fabriquais mes contes
J'ai joué à la Sirène
D'une voix de cristal
Je dis ma peine

Petite femme
Aux lèvres roses
Petite femme
De pas grand-chose Maman
Je suis partie
Sans but ni cause
Depuis ce jour
La porte est close

Moi je t'aimais
Je t'aimais si fort
De ma voix de cristal,
Je t'envoie des pétales
Maman je t'aimais
Je t'aimais si fort
La plus haute des étoiles
Je te l'apporterai

Maman, ô redonne-moi la main
Et le bleu de tes yeux
La vie d'une sirène
En est l'enjeux
Toi, toi tu me fais de la peine
Comme le bleu de tes yeux
Moi je me suis noyée
Je n'ai pas su faire mieux

Maman je t'aimais
Je t'aimais si fort
De ma voix de cristal
Je t'envoie des pétales.

Le présent texte est une retranscription effectuée par Benoît Douillat qui a accepté de la partager avec nous. Un grand merci à lui. Benoît tient une page dédiée à la chanteuse Robert qu'Amélie Nothomb rencontre ici. Voici un lien qui vous permettra de découvrir cette chanteuse française :

http://www.multimania.com/colchique