Amélie Nothomb
"Stupeur et tremblements"
Albin Michel


Quelle est l'histoire de "Stupeur et tremblements" ?

"Stupeur et tremblements" raconte une tentative d'intégration sociale et raciale ratée, en l'occurrence la mienne. Au Japon, persuadée d'être japonaise, j'ai tenté de m'intégrer par le biais du travail dans une énorme entreprise et ce fut un désastre.

Est-ce un roman ou une biographie ?

C'est d'abord une écriture, donc un roman. Les faits relatés sont vrais, mais ça ne signifie pas pour autant que ce n'est pas un roman. Tous les personnages de mon livre sont exactement tels qu'ils étaient dans la réalité. J'ai seulement changé les noms, ainsi que celui de la société, pour des raisons évidentes. Mais je n'ai ni inventé, ni modifié aucun des personnages.

Pourquoi avoir choisi de parler de cette période de votre vie ?

J'ai choisi de parler de cette période, 1990, parce que c'est une expérience fondatrice que tout le monde peut retrouver dans sa vie. Nous avons tous connu une première expérience professionnelle et il est quand même très rare que ça se passe bien. Tout jeune, a fortiori un peu sensible, gauche, hésitant et doutant de soi, qui essaie de trouver sa place dans une entreprise, ou plus simplement dans la société, même en déployant des trésors d'humilité, ne peut qu'y être humilié. Donc, j'ai voulu partager cette expérience qui, finalement, me paraît assez commune.

Vous expliquez qu'au Japon, un employé doit s'adresser à ses supérieurs avec stupeur et tremblements. Qu'est-ce que cela signifie ?

J'explique que dans l'ancien protocole impérial nippon, aboli depuis 1945, tout japonais était censé s'adresser à son empereur avec stupeur et tremblements. Cette règle n'est plus valable, ni écrite nulle part. Ceci dit, j'ai constaté que cette habitude culturelle du respect poussé à son comble est restée valable dans les entreprises. Les inférieurs ont coutume de s'adresser ainsi à leurs supérieurs.

Les relations qui lient la narratrice et Fubuki Mori sont plutôt troubles et évoluent tout au long du récit. Pouvez-vous nous éclairer sur leur nature ?

Il y a tout au long du livre une relation de fascination extrêmement trouble, très étrange entre la narratrice et cette supérieure qui se révèle le pire bourreau de l'entreprise. Les relations entre ces deux personnages sont emblématiques des relations entre la narratrice, totalement fascinée et humiliée, et le Japon lui-même.

Vous écrivez : "pour que ces cris odieux s'arrêtent j'aurais été capable du pire... de persécuter des milliers de chinois... de jeter mon avion sur un cuirassé américain". Pensez-vous qu'une partie de l'histoire du Japon s'explique par cette rigueur et cette obéissance aveugle voire hystérique ?

Il est certain que ce sens de l'obéissance poussé à l'extrême est à l'origine de l'immense majorité des atrocités que les japonais ont perpétré au cours de leur histoire, même récente. A partir du moment où l'on vous dit que votre honneur c'est d'obéir, on se soucie plus de sa soumission que de la valeur morale de l'ordre donné. Quand on voit les sanctions qu'on encourt lorsque l'on n'obéit pas... à savoir des engueulades dont on n'a pas idée ici ! Quand on se fait engueuler par son supérieur japonais, c'est tellement épouvantable, ça prend de telles proportions qu'on ferait n'importe quoi pour que ça cesse, donc on se soumet.

Que pensez vous du Goncourt des lycéens ?

J'étais très heureuse d'apprendre que j'étais sur cette liste, même si ce n'est pas la première fois que j'y figure. S'il y a une chose dont on peut être sûr c'est que les lycéens sont totalement honnêtes et sincères dans leurs choix. Il arrive que ce ne soit pas le cas avec les autres Prix. Si on reçoit le Goncourt des lycéens, on peut être certain que ce n'est pas suite à un snobisme ou une tentative de corruption.

De quel oeil voyez vous les rencontres entre auteurs et lycéens ?

J'ai déjà rencontré pas mal de classe de jurés et c'est très intimidant. Je trouve cela gratifiant mais je suis, par ailleurs, contre. Je trouve qu'il n'est pas très moral de chercher à influencer son jury. Pour moi, il ne faudrait pas les rencontrer du tout. D'autre part, il est indéniable que l'on prend énormément de plaisir à les rencontrer et le retour que l'on obtient est particulièrement intéressant. Je vais donc essayer de surfer entre ces deux attitudes.

Propos recueillis par Nicolas Guerdin

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