Con-Texto : Une île. Un vieil homme et une jeune fille y vivent à l'abri de tout reflet. Une infirmière survient pour soigner la jeune fille. Tandis que des relations de plus en plus confiantes se nouent entre elles, l'infirmière découvre les éléments d'un mystère et d'un drame qui tiennent à l'étrange loi que le vieil homme fait régner sur l'île. |
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Trois personnages principaux évoluent dans ce huis clos délimité par l'océan :
Françoise Chavaigne, jeune infirmière de 30 ans, célibataire, sans enfant qui est envoyée sur l'île de Mortes-Frontières afin de soigner un vieil homme malade, la Capitaine.
Le Capitaine Omer Loncours, vieil homme mystérieux, richissime. De son histoire, nous ne connaîtrons que peu de choses.
Hazel Englert, âgée de 23 ans, elle est l'hôte du capitaine depuis de nombreuses années. Elle souffre de maladies psychosomatiques. Elle est le motif principal de la venue de François sur l'île.
Au fil du livre, ces personnages apprennent à se connaître, se découvrent mutuellement et sondent les vérités horrifiantes de l'âme humaine...
In-Texto... Ex-Texto :
"Si vous m'y autorisez, je préfère commencer par les instructions ou plutôt l'instruction, car il n'y en a qu'une : ne pas poser de questions." (le Capitaine, p. 18)
A l'arrivée de François sur l'île, elle est accueillie par le Capitaine qui lui annonce que la personne qui a besoin de ses services est une jeune fille qu'il a recueillie, Hazel.
Il invite donc l'infirmière à rejoindre la chambre de la malade. Cependant, cette invitation introduit l'interdit fondamental du récit : celui de poser des questions autres que celles nécessaires aux soins physiques.
C'est bien entendu cet interdit qui va poser un élément-clé de l'histoire car c'est celui-ci qui va conditionner toutes les visites de Françoise chez sa nouvelle patiente. En effet, l'entrée dans la relation motivera Françoise à s'intéresser à Hazel, à s'intéresser à sa souffrance. Car au-delà d'une maladie physiologique, c'est bien sûr la maladie psychique qu'elle va entendre. Car Hazel n'est pas avare de ses mots, elle exprime clairement sa douleur.
Or, l'interdit persiste et il faut composer avec, sous peine de mort. L'histoire de "Mercure" est celle de cet interdit, cet interdit de paroles.
"Je suis ravie de la gravité de mon état, d'autant que je n'en souffre pas : tous les avantages de la maladie sans les inconvénients. Une visite quotidienne d'une fille aussi sympathique que vous, je ne pouvais pas rêver mieux." (Hazel, p. 29)
Le Capitaine annonce, lors de sa première rencontre avec François qu'Hazel souffre de troubles psychosomatiques : elle vomit et elle est brise de tremblements.
Hazel nous en parle elle-même et nous indique un sens à ses troubles. A titre informatif, le terme de "psychosomatique" nous introduit une problématique à deux niveaux : celui de l'esprit ("psyché") et celui du corps ("soma"). Il est donc question d'un mal qui s'immisce au sein de ce lien qui unit le psychologique et le physiologique, lien qui interroge encore le domaine de la santé.
Or, ce qui est sûr, c'est que ces troubles ont un sens... Ils parlent. Cependant, on ne les entend pas toujours. Et pour cause, ces troubles psychosomatiques font l'économie des mots !
En d'autres termes, cela signifie qu'une personne en souffrance et ne pouvant l'exprimer par les mots peut choisir la voie du corps. Dans le cas, d'Hazel, par exemple, il pourrait nous être permis de supposer que son mal répond à un manque, celui d'une femme, celui d'une mère, celui des soins qu'une mère peut apporter à la jeune enfant qu'elle est restée. Cependant, prise dans son entourage aliénant, celui d'une château vide, elle ne peut exprimer son manque ou ne peut être entendue par l'usage des mots. Le corps entier se substitue donc à la bouche et parle.
Au sein du récit, il parle et on l'écoute : l'infirmière apparaît.
"Quand je suis avec vous, j'ai une impression étrange : celle d'exister. Quand vous n'êtes pas là, c'est comme si je n'existais pas." (p. 51)
"Mercure" introduit la notion du regard, regard-miroir. Le noeud du récit est là, dans la métaphore du regard comme miroir de soi-même. Une des plus grandes découvertes de la psychanalyse fut ce même constat, celui qu'un individu isolé ne peut s'appréhender lui-même. En l'occurence, il a besoin de l'Autre pour accéder à sa propre identité. En effet, il a besoin des autres afin de s'évaluer, de se définir, de trouver ses propres limites. Les autres sont donc nécessaires à la constitution de notre propre personnalité : ils nous renvoient l'image que nous leur envoyons, ce qui nous permet de nous corriger ou de se rassurer. Or, le rôle crucial que joue l'Autre pour nous nous introduit à la notion de dépendance et d'aliénation. En effet, l'image que nous renvoit l'Autre de nous-même est une image déformée par sa propre personnalité. Nous sommes donc influencés par la personnalité des autres, parfois à notre insu.
Ce double constat (besoin de l'Autre et aliénation dans cet Autre) illustre particulièrement bien le drame que rencontre Hazel dans le récit : privée de son image réelle, elle est entièrement dépendante du regard de l'autre, autre qui ment. Elle est prise dans le discours de son tuteur, la Capitaine qui lui renvoie l'image qu'il désire lui renvoyer. Nous sommes dans la perversion, il y a négation de la personnalité de la pauvre Hazel.
Il est, alors, évident que la rencontre avec Françoise amène un "lieu" nouveau au sein duquel elle peut exister à part entière, loin du discours aliénant de son tuteur.
"C'est que vous trouvez l'amour comme le vautour sa nourriture : vous êtes là au moment le plus funeste, à observer, à guetter. Vous repérez les meilleurs morceaux, vous fondez dessus et vous vous envolez au loin en emportant votre butin" (Françoise au Capitaine, p. 143)
Le Capitaine Loncours ne semble concevoir l'amour qu'avec la femme idéale. Incapable de concevoir un compromis, il voue un culte sans limite à la beauté de la femme. Cependant la relation qu'il entretient avec la femme est empoisonnée par sa propre déchéance physique : son seul espoir est la relation en miroir. L'autre doit être laide, aussi laide que lui l'est. Il oscille donc au sein de deux extrêmes inconciciables : celui de la beauté absolue et celui de la laideur. Son absence de culpabilité lui permet de maîtriser la femme qu'il aime à l'instar d'un objet et non d'un être humain. L'autre idéal, idéalisé est un trophée de guerre qu'il faut préserver. Cependant, l'autre le confronte à son impuissance de satisfaction. Il se verra contraint de faire appel à un tiers, une femme à qui il tentera, en vain, d'imposer son contrôle, sa loi.
Omer Loncours est un homme intelligent, mais pris dans sa recherche de l'idéal d'amour, il sera confronté au plus grand paradoxe de son existence : il ne peut suffire à l'autre qui le satisfait. La dualité qu'il désire ne peut se maintenir car l'autre qu'il aime désire ailleurs, désire quelqu'un d'autre.
"Peut-être auriez-vous préféré n'être ni belle ni laide, semblable à la multitude, invisible, insignifiante, sous prétexte que la liberté consiste à être quelconque." (p. 177)
Le thème a déjà été traité dans "Attentat". Amélie Nothomb traite des positions extrêmes selon le modèle des idéaux. Nous sommes sans cesse interpellés par certains de nos idéaux, états d'être, de faire irréalisables mais qui nous hantent. Nous ne sommes cependant pas tous égaux face à ces idéaux. En effet, il nous faut, au jour le jour, effectuer des compromis, admettre que nous ne sommes pas constamment parfois et apprendre à accepter ce que nous sommes et ce que nous faisons malgré nos erreurs.
Cependant, il est des individus qui ne peuvent admettre ces compromis entre leurs idéaux et la réalité factuelle. Le mode de pensée se structure alors en termes de "tout bon" ou de "tout mauvais". Les intermédiaires n'existent pas... Les intermédiaires ne font pas exister !
L'exigence est donc celle-ci : "Sois parfait ou ne sois pas !"
Pour exister, il faut être l'idéal. Or, le regard des autres ne corrobore pas toujours ce statut idéal, ce qui confronte automatiquement le sujet à une médiocrité fantasmée.
"Pourquoi une chose aussi bête que le langage a-t-elle le pouvoir d'anéantir l'Eden ?" (le Capitaine Loncours, p. 215)
C'est une des particularités du langage : "le mot détruit la chose". Ceci s'explique par le fait qu'un mot ne correspond jamais à la pensée, il n'est qu'une approximation de celle-ci. Par conséquent il atteint la "pureté" de la pensée.
Il suffit de tenter de parler d'amour (ou de haine) pour se rendre compte que les mots n'expriment jamais ce que l'on ressent exactement.
Notons ici, que la rage du Capitaine renvoie à une autre notion qui est celle du mot interdit.
A l'arrivée de François, nous avons souligné l'importance de l'interdit qu'il amenait. Il empêchait ainsi François de révéler une part de vérité, de déjouer la supercherie qu'il maintenait depuis si longtemps. Le langage qu'il dénonce est celui de quelqu'un d'autre. En l'occurrence, sa rage découle de l'incomplétude de son propre langage... langage duquel certains mots, certains questionnements étaient bannis, exclus.
L'arrivée d'un tiers, d'une mère, l'expulse de ses désirs de relation duelle, de fusion à l'autre, du contrôle de l'autre. C'est donc, l'autre, le tiers qui est maudit parce que révélant les mots interdits.