Thierry Mugler connaît le principede base de la création, à savoir que l'art précède la réalité : c'est la réalité qui s'inspire de l'art et non le contraire. Ainsi, comme il rêvait d'un salon de mode de l'an 2000 encore utopique, Thierry Mugler l'a crée en le photographiant, conscient que ce qui désormais existe sur des photos sublimes aurait plus de chances d'exister, un jour, pour de vrai.
Ces photos nous montrent des femmes dorées et nacrées, vêtues de splendeurs qui portent la griffe de Thierry Mugler mais aussi d'Yves Saint-Laurent ou de Balenciaga - car il n'y a rien de moins narcissique que ce salon idéal de l'an 2000, qui est pur hommage à une beauté intemporelle. Ceux qui y chercheraient des délires futuristes en seraient pour leurs frais : c'est le règne d'un classicisme intemporel, d'une aisance hypercivilisée qui est un sommet d'élégance. Et l'on se surprend à penser, contre toute probabilité, que ces créatures de si haute tenue ont l'air de se sentir merveilleusement bien sous leurs apparences de reines statufiées. Et cette illusion, si c'en est une, porte leur élégance à son comble.
Comme toutes les grandes oeuvres, la ligne thierry Mugler est nées d'une tension fondamenale : paradoxe vivant que cet homme, dont la nature est la frivolité et la fantaisie même et dont la contrainte intérieure est une rigueur absolue qui est la condition de son expression. On comprend mieux, quand on apprend que ce fou génial est un ancien danseur classique : est-il école plus impitoyable ? Il en résulte un classicisme fabuleusement inventif, dont l'extravagance épurée n'a peur di de l'érotisme ni de l'humour. Ce paradoxe porte un nom : cela s'appelle la classe.
C'est que chez Thierry Mugler le vêtement est la partie émergée de l'iceberg : il n'est que le détail d'une vision globale, d'une esthétique. Cette dernière, Thierry Mugler la révèle autant par ses modèles que par ses photos - il est le premier et pour ainsi dire le seul styliste à photographier lui-même ses créations - mais aussi par une philosophie du comportement : "La plus grande élégance, me dit-il, c'est la vérité. Mon salon de mode de l'an 2000, c'est aussi cela : un lieu d'accueil et de célébration de la beauté, sans mensonge ni tricherie."
Que l'on me pardonne de terminer par ce détail égocentrique : Thierry Mugler a lu mon dernier roman et il en parle admirablement. Il évoque les passages consacrés à la défenestration : "J'adore, me dit-il. Tenez, j'ai pensé à vous." - et il sort de ses trésors deux photos de femmes vêtues avec un chic fou, au bord du vide : "Ne trouvez-vous pas, me dit-il avec légèreté, que ce sont les tenues idéales pour se jeter par la fenêtre ?".
Et il éclate de rire. Il rit beaucoup, d'ailleurs. C'est aussi cela, Thierry Mugler : un style sublime qui ne se prend pas au sérieux.