L'opinion Independante Archives Litterature

Mémoire d'un jeune bébé dérangé

l'Opinion indépendante Dans Métaphysique des tubes, son neuvième roman, Amélie Nothomb raconte sa petite enfance au Japon, de zéro à trois ans. Une plongée à la fois cocasse, nostalgique, drôle et grave dans la vie d’un curieux bébé en proie au doute.

Opinion Indépendante : Ce roman, qui se présente comme autobiographique, retrace votre vie de zéro à trois ans. Pourquoi faire appel à la métaphysique ?
Amélie Nothomb : De zéro à trois, c’est vraiment par excellence l’âge métaphysique. On débarque sur terre comme un martien. On doit faire soi-même sa définition du monde. Même si des gens autour de nous veulent nous aider, on doit faire l’essentiel du travail intellectuel tout seul. Cette première définition du monde relève bien d’une phase métaphysique.

Les adultes apparaissent parfois stupides ou méchants. Est-ce toujours votre vision ?
Je ne dirais pas qu’ils sont méchants ou stupides mais résignés. Ils sont résignés à ne pas comprendre. Ils sont ce que nous sommes aujourd’hui.

Vous êtes née au monde, écrivez-vous, à l’âge de deux ans grâce à la notion de plaisir. Ensuite vient le désenchantement, mais vous racontez ce désenchantement de manière enchantée…
Pour qu’il y ait désenchantement encore faut-il qu’il y ait eu enchantement. Il fallait donc approcher au plus près l’enchantement de l’enfance pour que le travail de déconstruction soit possible. Il y a quelque chose de presque masochiste comme démarche là-dedans pour un écrivain.

L’une des découvertes essentielles que vous faites à ce moment-là, c’est la perte de ce que l’on aime et la perte de la confiance en la pérennité du monde.
Sans la notion de la perte et la dimension tragique qui consiste à savoir que l’on va perdre ce qui nous apporte du plaisir, le plaisir est moins grand. La dimension tragique, tout en donnant un goût amer au plaisir puisqu’il lui donne aussi le goût de la mort, rend le plaisir beaucoup plus profond.

La mort est également présente : par accident, par une tentative de suicide, par des références à la seconde guerre mondiale…
La mort est certainement une chose qui m’obsède mais indépendamment de moi il est tout à fait logique qu’un tout petit enfant soit obsédé par la mort. Si l’on est d’accord pour considérer, qu’après la mort, on ne va pas vers grand-chose, on doit aussi accepter, qu’avant la naissance, on vienne du même endroit. Si l’on sort de la mort, comme cela pourrait être le cas d’un bébé, il est naturel que l’on y pense beaucoup et que l’on soit tenté d’y retourner.

Si l’état de bébé est ce qui se rapproche d’un état divin, devenir écrivain a-t-il été un moyen de “redevenir Dieu” ?
C’est extrêmement vaniteux à dire mais, il est vrai qu’au moment où l’on écrit, on se sent Dieu. Je ne prétends pas que le résultat soit divin mais la démarche est la même. Elle a quelque chose de divin. On a le formidable pouvoir de celui qui crée le langage, qui nomme les choses et qui les fait apparaître. Écrire, c’est encore d’une certaine façon être Dieu.

Ce roman a une très large palette de tons entre nostalgie, comédie, noirceur… Quelle couleur domine le roman de votre point de vue ?
J’aurais du mal à la dire. Quelle est la tonalité qui domine une petite enfance ? L’état d’âme d’un petit enfant varie continuellement. Il pleure puis deux minutes plus tard il s’amuse avec un jouet. Je crois que ce qui domine tout de même c’est le questionnement et la curiosité. Je ne me suis jamais embêtée un quart de seconde dans ma vie car je persiste à trouver que tout est extrêmement curieux.

Vous avez écrit de très nombreux romans dont quelques-uns ont été publiés. Un seul roman par an, n’est-ce pas frustrant ?
Non, c’est déjà beaucoup de travail ! Non seulement le fait de l’écrire ­ même si j’en ai écrits bien plus que cela ­ mais aussi le travail auquel je n’avais pas pensé avant de publier, notamment le travail qui consiste à répondre aux innombrables questions de journalistes, qui sont d’ailleurs parfois très intéressantes mais qui restent un travail.

Vous avez un énorme succès en librairie. Est-ce une liberté supplémentaire ou un poids ?
Il y a un poids, certainement. Ne serait-ce que ce poids terrible qui consiste à vivre dans l’angoisse de décevoir. Mais c’est quand même surtout une liberté et un privilège. Cela me permet de vivre de ma plume et donc de ne pas exercer de métier annexe pour me consacrer beaucoup plus encore à l’écriture.

Vos deux derniers romans avaient pour cadre le Japon. Est-ce un pays vers lequel vous reviendrez ?
Allez savoir de quoi je vais tomber enceinte à l’avenir ? Mais ce qui est certain c’est que même si mes livres futurs ne se passeront peut-être pas au Japon, le Japon est en moi. De tous les pays où j’ai vécu, il est certainement celui qui m’a le plus marquée. Même dans nombre de mes livres que j’ai déjà publiés et qui ne se passent pas au Japon, il y a quand même un esprit japonais. Je pense par exemple à un livre comme Les catilinaires où l’attitude qu’a le narrateur vis-à-vis de son voisin est une véritable attitude de japonais.

Vous écrivez dans Métaphysique des tubes : “Dis-moi ce qui te dégoûte et je te dirai qui tu es.” Qu’est-ce qui vous dégoûte aujourd’hui ?
La bouche des carpes ! C’est resté valable.


Page issue du site suivant : http://www.opinion-ind.presse.fr/archives/texte/nothombbebe.html