Amélie, Madame pipi des Nippons

Amélie, Madame pipi des Nippons
On l'attendait. La voilà revenue avec un nouveau roman. Allait-elle réussir à se renouveler? Il s'en faut d'un cheveu pour qu'Amélie Nothomb sombre dans la catégorie "phénomène de mode, à fuir comme la peste". À l'exception de quelques tics d'écriture, elle réussit l'examen du "je" au pays des Nippons. Avec un personnage en or: l'entreprise japonaise.
Votre roman est un réquisitoire terrifiant contre la société japonaise...
Ce livre n'est en rien un règlement de compte avec le Japon, pays que j'admire. C'est peut-être une dénonciation de l'entreprise japonaise, le seul système politique qui dirige le Japon aujourd'hui. Penser que 95% des Japonais travaillent dans cet enfer, c'est quand même inquiétant.
Vous avez été interprète dans une entreprise japonaise, alors que dans votre roman, il n'en est rien... Quelle est la part d'autobiographie?
Ce récit est à 100% autobiographique. Dans ma naïveté, je pensais avoir été engagée comme interprète, mais je ne l'ai jamais été. Quand ils se sont aperçus que je parlais vraiment japonais et que je les comprenais réellement, notamment la nature raciste de ce qu'ils se racontaient, je leur paraissais étrangement louche. Le système japonais, hiérarchisé, hyper protectionniste, engendre une paranoïa permanente. Ils ont essayé de m'écarter par tous les moyens en me donnant l'ordre surréaliste d'arrêter de comprendre le japonais. Ils m'ont alors mise à la comptabilité, où ce fut un désastre. Puis ils se sont dit qu'il fallait me mettre ailleurs...
Vous avez mutée dans une fonction inattendue voire humiliante. Comment avez-vous fait pour tenir le coup pendant un an ?
J'ai été en effet surprise de ma promotion en devenant Madame Pipi au 44ème étage de l'entreprise. Sans doute, pensais-je que quelque chose de meilleur m'attendait. Quand la situation est devenue un vrai cauchemar, j'ai décidé de vivre tout cela dans la dérision, de ne voir que l'aspect comique de la situation. Ce système japonais est monstrueux et, en même temps, tellement caricatural qu'il en devient désopilant.
Vous deviez vous sentir très seule. Vos parents, des amis vous aidaient-ils?
Mes parents, qui vivaient au Japon, ne se rendaient pas vraiment compte de ce que je vivais. Quand ils ont lu mon livre, ils étaient assez estomaqués. Je ne voulais pas d'un traitement de faveur, je voulais être traitée comme une Japonaise. Mon fiancé japonais était merveilleux avec moi. Tous les soirs, je lui racontais les tortures que j'avais subies. À chaque fois il me disait: "J'ai honte d'être Japonais".
De quelle manière vous sentez-vous Belge?
D'abord, lorsque j'ai compris que je n'étais plus Japonaise. Je me sens Belge par le surréalisme ambiant. Le tram parle à mon âme: j'adore le prendre à Bruxelles.
....et Japonaise?
Par un certain goût de la stylisation, de l'harmonie, de la courtoisie. Le Japon m'a apporté une vraie attirance pour la beauté : quand je la vois, je suis sur un nuage. Peu de pays ont cultivé à ce point le souci de l'esthétisme.
Le statut de la femme japonaise ne semble guère enviable...
C'est à peine si elle a le droit d'avoir un corps, considéré comme dégoûtant. Aux toilettes, la femme japonaise est tellement terrorisée à l'idée que quelqu'un puisse l'entendre qu'elle tire la chasse tout le temps. Dans la vie privée, les Japonaises ont le souci de se réveiller plus tôt que leur mari pour se maquiller. Elles accordent un très grand soin à leur maquillage.
À vous lire, on a le sentiment que le sort des relations belgo-japonaises reposait sur vos épaules...
N'exagérons rien. C'est un livre raconté sur le mode humoristique. J'étais vraiment une personne sans aucune importance. N'empêche que mon père, ambassadeur belge au Japon, s'inquiétait un peu de la situation de peur que je sois trop insolente. Si j'avais quitté l'entreprise en mauvais termes, cela aurait quand même porté quelque peu atteinte à mon père, et cela je ne le voulais en aucun cas.
Propos recueillis par Corinne Le Brun.
Stupeur et tremblements par Amélie Nothomb, éd. Albin Michel. 614 FB (15,22 Euros).
Stress
Je suis mortellement stressée et je ne suis pas zen du tout... L'Extrême-Orient m'a appris qu'on ne guérit pas ses maux et que, pour cette raison, il faut les utiliser. Je ne pondrais pas autant de livres - ndlr: 3,7 bébés-bouquins par an - si je n'étais pas si maladivement stressée".
Cet article est emprunté du site du Soir illustré :
http://www.soirillustre.be